Discours de Strasbourg, création du R.P.F

Deux années se sont écoulées depuis que la grande victoire du Rhin, remportée côte à côte par les armées américaine et française, achevait de chasser des abords de l'Alsace les débris des forces ennemies. Ainsi Strasbourg et toutes les villes et tous les villages de cette province sacrée se trouvaient désormais à l'abri du canon allemand. Deux années ! au cours desquelles, une fois l'ennemi définitivement abattu, la France, l'Europe, le monde, ont découvert les dures réalités qu'il leur faut maîtriser pour vivre. Deux années ! après lesquelles notre peuple, bien qu'aient été sauvées son intégrité et son indépendance, bien qu'il ait su s'éviter à lui-même les grandes convulsions intérieures, bien qu'il ait repris son labeur avec courage au milieu des ruines, éprouve parfois une sorte de doute amer et s'interroge avec quelque angoisse sur ce que sera l'avenir.

A ce doute, à cette angoisse, une grande nation comme la nôtre ne doit céder à aucun prix. Si rude que soit notre route, il serait indigne de nous et mortellement dangereux de la suivre d'un pas tremblant. Les esclaves peuvent gémir, les faibles s'épouvanter. Mais nous, nous sommes des hommes et des femmes libres, capables de voir les choses telles qu'elles sont, sans nous bercer d'illusions, mais sans être obnubilés par des spectres et des fantômes. Puisque Strasbourg m'a fait l'honneur de m'inviter, en ce jour anniversaire de la libération définitive de l'Alsace, c'est à Strasbourg que je parlerai du passé récent, du présent et de l'avenir du pays.

La guerre qui vient de finir a bouleversé de fond en comble les conditions de l'existence et de la puissance de la France. Combien même, en 1940, avaient pu croire à notre effondrement ! Effondrement militaire, puisqu'en dépit d'épisodes brillants, nos armées se trouvaient brisées ; effondrement des institutions puisque le régime abdiquait ; effondrement impérial, car, dans cet extrême abaissement il était clair que l'autorité de la France d'outre-mer ne pourrait se maintenir à la longue vis-à-vis des populations et vis-à-vis de l'étranger ; effondrement extérieur, enfin, dès lors que l'univers pouvait supposer que dans la caricature du fascisme et dans la capitulation qui étaient le système dit de Vichy, nous avions renoncé à nous-mêmes.

C'est alors que la France libre prit en main tous les pouvoirs, autrement dit tous les devoirs. C'est alors qu'elle assuma la responsabilité de conduire la France jusqu'au salut, la charge de maintenir intacts son intégrité, son indépendance et ses droits, la mission de reporter au combat ses armées de terre, de mer et de l'air et de les diriger jusqu'à la complète victoire, l'engagement de lui rendre sa souveraineté sur elle-même, c'est-à-dire la République. Reconnaissons en passant que si, pour porter cette charge, elle a trouvé beaucoup d'obstacles, elle rencontra peu de concurrents et que, notamment, les partis firent preuve à cette époque d'une discrétion pleine de mérite. Reconnaissons, surtout, qu'à mesure que les événements faisaient renaître l'espérance, la masse de la nation portait vers la France Combattante son adhésion et sa confiance. Il est donc arrivé que nous avons vu se remettre debout notre pays gisant sous l'oppression et que les résultats ont correspondu aux buts fixés et aux promesses faites, c'est-à-dire : la victoire remportée, la liberté reconquise, la souveraineté du peuple intégralement rétablie.

Cependant, une fois accomplie notre libération, nous émergions du malheur sous deux aspects dangereusement contradictoires. D'une part, la gravité de nos blessures physiques et morales montrait à tous les yeux que, pour les guérir lentement et nous rénover de telle sorte que fussent assurées, au milieu du monde nouveau, notre prospérité, notre influence, notre indépendance, il était indispensable que le peuple français fît trêve à ses querelles d'autrefois et sût se donner à lui-même une direction, c'est-à-dire un État, capable de le conduire vers son destin avec impartialité, autorité, continuité. Mais, par contre, nos vieilles divisions, aigries et aggravées par les épreuves nationales et par la tragédie toujours suspendue sur le monde, s'épanouissaient à nouveau. Les partis, qui leur donnent l'impulsion et leur servent de cadres, tendaient à devenir plus rigides et exclusifs qu'ils ne l'avaient jamais été. En effet, le caractère inquiétant et exceptionnel des ambitions, de la tactique, des procédés de l'un d'entre eux les portait à s'organiser d'une manière plus ou moins analogue. En outre, la clientèle de chacun s'enflammait surtout de l'aversion ou de la crainte ressentie à l'égard des autres. Il devait résulter de ces diverses conditions une situation dans laquelle aucun parti ne pouvant à lui seul diriger l'État, tous ou plusieurs voudraient se le partager. Cette répartition de la puissance publique entre des rivalités ne pourrait que la paralyser.

Aussi longtemps que j'ai pu moi-même présider aux destinées de l'État et diriger le gouvernement sans tenir compte d'autre chose que des nécessités imposées par l'intérêt commun je l'ai fait, comme vous le savez. Je n'ai pas hésité, d'ailleurs, à appeler auprès de moi des hommes de toutes tendances, convaincu que, pour réaliser la libération du pays, achever la guerre contre l'Allemagne et le Japon, éviter les collisions civiles ou sociales, assurer un premier démarrage de notre activité au milieu des destructions et des ruines, présenter enfin aux puissances étrangères une France rassemblée, rien n'importait davantage que d'établir et de maintenir, aussi longtemps que possible, une élémentaire unanimité française en dépit des inconvénients qui en résultaient forcément dans l'action gouvernementale.

Mais une fois la victoire acquise et le pays consulté par la voie des élections, les partis sont apparus, impatients de leur avènement notamment vis-à-vis de moi, et d'accord entre eux sur ce point seulement que la voie leur fût laissée libre. Dans de telles conditions, et étant écartée par moi toute aventure plébiscitaire, dont je suis convaincu que dans l'état de l'esprit public et dans la conjoncture internationale elle aurait finalement abouti à des secousses désastreuses, il n'y avait, pour l'homme qui vous parle, que deux solutions possibles. Ou bien entrer dans le jeu des partis, ce qui eût, je le crois, abaissé sans aucun profit cette sorte de capital national que les événements l'ont conduit à représenter et en venir rapidement à transiger sur l'essentiel. Ou bien laisser les partis faire leur expérience, non sans avoir, auparavant, fait réserver au peuple lui-même la faculté de décider, par la voie du référendum, du régime qui serait adopté. J'ai choisi cette deuxième solution. Puis, j'ai moi-même proposé publiquement les institutions qui me paraissaient s'imposer pour la France et pour l'Union Française et adressé en temps voulu à mes concitoyens des avertissements pressants quant au jugement qu'ils allaient porter.

On sait ce qu'il est advenu. La Constitution, suivant laquelle tous les pouvoirs se trouvent procéder dans leur source et dépendre dans leur fonctionnement, d'une manière directe et exclusive, des partis et de leurs combinaisons, a été acceptée par 9 millions d'électeurs, refusée par 8 millions, ignorée par 8 millions. Mais elle est entrée en vigueur ! On peut constater aujourd'hui ce qu'elle donne. Gardons-nous d'ailleurs d'incriminer les hommes dont certains sont, je le dis pour les avoir moi-même éprouvés, fort dignes et fort capables de diriger les diverses branches des affaires publiques, mais que le système lui-même ne laisse pas d'égarer ou de paralyser. En tout cas, il est clair que la nation n'a pas, pour la guider, un État dont la cohésion, l'efficience, l'autorité, soient à la hauteur des problèmes qui se dressent devant elle.

Car ces problèmes sont d'une dimension, d'une complexité, d'une urgence, qui ne leur laissent rien de commun avec ceux que la France traitait autrefois, bien assise sur sa richesse, au milieu d'un monde nettement connu et défini. Maintenant, c'est de tout qu'il s'agit et de tout à la fois ! L'action économique, l'action sociale, l'action impériale, l'action extérieure, pour ne parler que des sujets les plus volumineux et les plus apparents, nous appellent et nous pressent, tandis que nous zigzaguons sur un chemin bordé d'abîmes.

Action économique ? En valeur absolue nous avons perdu, par le fait de la guerre, la moitié, de notre fortune nationale. En valeur relative, par rapport à d'autres nations qui ont, avant on pendant la guerre, modernisé leur outillage et leurs méthodes, nous avons perdu bien davantage encore. La menace ? C'est la médiocrité toujours plus accentuée jusqu'à devenir la misère. L'effort à accomplir ? D'abord, nous établir sur une base de départ solide en stabilisant la monnaie, ce qui implique en premier lieu une réduction considérable des dépenses et, par conséquent, des activités de l'État. Ensuite, accroître notre production, tant agricole qu'industrielle, ce qui exige que tout le monde travaille au maximum, que nous nous incorporions deux millions de travailleurs étrangers, que nous nous procurions, par tous les moyens commerciaux et diplomatiques possibles, au moins la moitié du charbon que nous pouvons extraire, que nous rééquipions d'une manière moderne notre agriculture, nos usines, et nos mines, que l'esprit d'entreprise, l'initiative, l'émulation, soient dans tous les milieux encouragés et récompensés, que, par principe, la liberté soit rétablie dans chaque branche de l'activité dès qu'un équilibre s'y trouve possible entre l'offre et la demande.

Action sociale ? Faudra-t-il donc que nous demeurions dans cet état de malaise ruineux et exaspérant où les hommes qui travaillent ensemble à une même tâche opposent organiquement leurs intérêts et leurs sentiments ? Sommes-nous condamnés à osciller toujours douloureusement entre un système en vertu duquel les travailleurs seraient de simples instruments dans l'entreprise dont ils font partie et un autre qui écraserait tous et chacun, corps et âme, dans une odieuse machinerie totalitaire et bureaucratique ? Non ! La solution humaine, française, pratique de cette question qui domine tout n'est ni dans cet abaissement des uns, ni dans cette servitude de tous. Elle est dans l'association digne et féconde de ceux qui mettraient en commun, à l'intérieur d'une même entreprise, soit leur travail, soit leur technique, soit leurs biens, et qui devraient s'en partager, à visage découvert et en honnêtes actionnaires, les bénéfices et les risques. Certes, ce n'est pas cette voie que préconisent, ni ceux qui ne veulent pas reconnaître que rehausser la dignité de l'homme c'est non seulement un devoir moral mais encore une condition du rendement, ni ceux qui conçoivent l'avenir sous la forme d'une termitière. Mais quoi ? C'est la voie de la concorde et de la justice fructifiant dans la liberté !

Action impériale ? Parce que nous fûmes capables d'ouvrir au progrès moderne des contrées qui, auparavant, végétaient dans les abus, la misère, l'anarchie, parce que nous ne saurions renoncer à y remplir les devoirs que nous avons assumés sans les rejeter dans le trouble ou les livrer aux ambitions des autres, parce qu'en les perdant nous perdrions notre rang de grande puissance, nous avons, vis-à-vis du monde entier, le droit et le devoir de faire vivre et de développer l'Union Française que nous avons proclamée ait pire moment de la pire des guerres ! Amener chacune des entités humaines qui composaient hier notre Empire à se développer pour son compte, dans son cadre, à son profit, la faire bénéficier économiquement, socialement, moralement, intellectuellement, de ce dont nous sommes capables, l'associer à la Métropole dans des conditions conformes, soit au degré de son développement, soit aux traités que nous avons conclus, mais réserver à l'expérience, à la sagesse, à l'autorité de la France, la responsabilité supérieure de l'ordre public, de l'action extérieure, de la défense vis-à-vis du dehors et des activités économiques intéressant la communauté, voilà la tâche à accomplir ! L'effort 'est grand, le devoir est lourd, mais l'enjeu est à la mesure de la France.

Action extérieure ? Nous nous trouvons, désormais, dans un univers entièrement différent de celui où notre pays avait vécu pendant des siècles. Nous fûmes longtemps accoutumés à une Europe équilibrée, où cinq ou six grandes puissances, tout en rivalisant entre elles et en se faisant l'une à l'autre périodiquement la guerre, avaient une civilisation semblable, une commune manière de vivre, un même droit des gens, où les États moins importants se trouvaient protégés par la parité des plus grands, où notre vieux continent dominait en fait le monde par sa richesse, sa puissance, son rayonnement, où la France pouvait mener, avec bonheur ou malheur suivant les circonstances, mais toujours à son gré, une politique traditionnelle, fondée sur des données constantes. Le tableau a complètement changé !

Notre planète, telle qu'elle est aujourd'hui, présente deux masses énormes, toutes deux portées à l'expansion, mais entraînées par des dispositions essentiellement différentes et, du même coup, par des courants idéologiques opposés. L'Amérique et la Russie, si on a le droit d'espérer qu'elles ne deviendront pas ennemies, sont automatiquement rivales. D'autant plus que le rapetissement de la terre, par suite de l'évolution technique, les met partout en contact, c'est-à-dire partout en garde, et que l'invention de moyens de destruction terribles introduit dans leurs relations un élément acrimonieux d'inquiétude, sinon d'angoisse. Dans une pareille situation, placés là où nous le sommes, le maintien de notre indépendance devient pour nous le problème brûlant et capital.

Il implique, d'abord, que le sort du peuple allemand soit réglé de telle manière que les ambitions, les moyens, l'orientation de notre voisin ne puissent plus nous tenir un jour sous le coup de leur menace. Il implique, en même temps, que nous nous appliquions à refaire l'Europe, afin qu'existe, à côté des deux masses d'aujourd'hui, l'élément d'équilibre sans lequel le monde de demain pourrait peut-être subsister sous le régime haletant des modus vivendi, mais non point respirer et fleurir dans la paix. Il implique, encore, que nous contribuions, dans toute la mesure de notre influence et de nos possibilités, à faire vivre la coopération internationale et ses naissantes institutions, pour que toute cause éventuelle de conflit puisse être étudiée et jugée à temps devant l'opinion de l'Humanité tout entier. Il implique, enfin, que nous restions nous-mêmes, c'est-à-dire des Occidentaux, fidèles à une conception de l'homme, de la vie, du droit, des rapports entre les États, qui nous a faits tels que nous sommes, à laquelle ont toujours tenu notre influence et notre rayonnement et qu'il nous faut défendre et faire valoir dans le tumulte du monde, pour servir et pour survivre.

Voilà, en vérité, où nous en sommes et voilà ce que nous avons à faire ! Si nous n'étions pas le peuple français, nous pourrions reculer devant la tâche et nous asseoir au bord de la route en nous livrant au Destin. Mais nous sommes le peuple français ! Alors que beaucoup nous tenaient pour perdus ou, tout au moins, pour bien malades, nous avons su fournir l'effort héroïque et organisé de la résistance nationale qui nous a permis de sortir, dans les rangs des vainqueurs, du plus grand drame de notre Histoire. A l'heure qu'il est, nos soldats, qui rétablissent la paix en Indochine, font preuve d'autant de courage et d'autant de dévouement que jamais soldats n'en montrèrent. Nous ne sommes devenus ni bêtes, ni paresseux, ni corrompus ! Malgré toutes ses pertes, notre race n'est nullement en voie de disparaître et même les jeunes mamans de France ont mis au monde, l'année dernière, plus de bébés que nous n'en avions compté annuellement depuis cent ans ! Si nous avons notre grande peine et notre lourd fardeau, toutes les nations ont les leurs et certaines d'entre elles s'en trouvent aussi éprouvées que nous.

Mais il s'agit, à présent, de nous tirer d'affaire, de résoudre virilement, par un puissant et long effort, les problèmes dont dépendent notre vie et notre grandeur. La cause est maintenant entendue ! Nous n'y parviendrons pas en nous divisant par catégories rigides et opposées. Nous n'y parviendrons pas si l'État, dont c'est le rôle de guider la nation, est bâti pour fonctionner sur la seule base de ces divisions et des groupements qui les expriment. La République, que nous avons fait sortir du tombeau où l'avait d'abord ensevelie le désespoir national, la République que nous avons rêvée tandis que nous luttions pour elle, la République dont il faut qu'elle se confonde maintenant avec notre rénovation, sera l'efficience, la concorde et la liberté ou bien elle ne sera rien qu'impuissance et désillusion, en attendant, soit de disparaître, de noyautage en noyautage, sous une certaine dictature, soit de perdre, dans l'anarchie, jusqu'à l'indépendance de la France.

Il est temps que les Françaises et les Français qui pensent et qui sentent ainsi, c'est-à-dire, j'en suis sûr, la masse immense de notre peuple, s'assemblent pour le prouver. Il est temps que se forme et s'organise le Rassemblement du Peuple Français qui, dans le cadre des lois, va promouvoir et faire triompher, par-dessus les différences des opinions, le grand effort de salut commun et la réforme profonde de l'État. Ainsi, demain, dans l'accord des actes et des volontés, la République française construira la France nouvelle !



Appel du 18 juin


Les chefs qui, depuis de nombreuses années, sont à la tête des armées françaises, ont formé un gouvernement.

Ce gouvernement, alléguant la défaite de nos armées, s'est mis en rapport avec l'ennemi pour cesser le combat.

Certes, nous avons été, nous sommes, submergés par la force mécanique, terrestre et aérienne, de l'ennemi.

Infiniment plus que leur nombre, ce sont les chars, les avions, la tactique des Allemands qui nous font reculer. Ce sont les chars, les avions, la tactique des Allemands qui ont surpris nos chefs au point de les amener là où ils en sont aujourd'hui.

Mais le dernier mot est-il dit ? L'espérance doit-elle disparaître ? La défaite est-elle définitive ? Non !
Croyez-moi, moi qui vous parle en connaissance de cause et vous dis que rien n'est perdu pour la France. Les mêmes moyens qui nous ont vaincus peuvent faire venir un jour la victoire.

Car la France n'est pas seule ! Elle n'est pas seule ! Elle n'est pas seule ! Elle a un vaste Empire derrière elle. Elle peut faire bloc avec l'Empire britannique qui tient la mer et continue la lutte. Elle peut, comme l'Angleterre, utiliser sans limites l'immense industrie des Etats-Unis.

Cette guerre n'est pas limitée au territoire malheureux de notre pays. Cette guerre n'est pas tranchée par la bataille de France. Cette guerre est une guerre mondiale. Toutes les fautes, tous les retards, toutes les souffrances, n'empêchent pas qu'il y a, dans l'univers, tous les moyens nécessaires pour écraser un jour nos ennemis. Foudroyés aujourd'hui par la force mécanique, nous pourrons vaincre dans l'avenir par une force mécanique supérieure. Le destin du monde est là.

Moi, Général de Gaulle, actuellement à Londres, j'invite les officiers et les soldats français qui se trouvent en territoire britannique ou qui viendraient à s'y trouver, avec leurs armes ou sans leurs armes, j'invite les ingénieurs et les ouvriers spécialistes des industries d'armement qui se trouvent en territoire britannique ou qui viendraient à s'y trouver, à se mettre en rapport avec moi.

Quoi qu'il arrive, la flamme de la résistance française ne doit pas s'éteindre et ne s'éteindra pas. Demain, comme aujourd'hui, je parlerai à la Radio de Londres.

Général de Gaulle



Discours de Bagatelle, 1er mai 1950

A la bonne heure ! Nous sommes bien vivants ! Il n'est que de nous voir pour être sûr que notre peuple n'est aucunement disposé à terminer sa carrière. Il n'est que de nous voir pour, discerner où les travailleurs mettent aujourd'hui leur espérance. La masse immense que voilà prouve aux insulteurs qu'ils perdent l'argent qu'on leur donne et, aux couards, qu'en dépit de leur neurasthénie, rien n'est perdu pour la France.

Ah ! certes, nous connaissons les peines et les soucis de tant de gens et de familles. Nous entendons la rumeur d'alarme qui retentit dans l'univers. Mais, si nous sommes lucides, nous sommes également résolus. Pourquoi? Parce qu'à travers les obstacles nous avons choisi notre route. C'est celle qui monte et va tout droit. Au fond, depuis dix ans et plus, nous sommes, nous, ceux qui ne veulent pas que la France donne sa démission.

Mais d'autres, hélas ! y consentent. D'abord, les malheureux pour qui notre pays ne doit être que l'un des domaines du Kremlin. Mais aussi, certains Français qui doutent de la France : « C'en est trop ! chuchotent ceux-là. Nous sommes maintenant tombés trop bas pour pouvoir remonter la pente. Prenons-en notre parti ! A l'intérieur ne touchons à rien, de peur que tout ne s'écroule. A l'extérieur, faisons ce que demandent les étrangers les mieux pourvus. Ainsi pourrons-nous, peut-être, ménager nos chances de vivoter. Et, si la patrie doit mourir, tâchons au moins que sa mort soit douce!»

Oui, voilà ce que murmurent les pleurnichards du renoncement. Il faut dire que l'impuissance du régime ne leur fournit que trop d'arguments. Inversement, ce régime lui-même invoque l'atonie ambiante pour justifier sa médiocrité. Inutile de chercher ailleurs les causes de cette maladie d'abandon qui, naguère, malgré la valeur de certains des hommes au pouvoir et beaucoup d'efforts accomplis par la nation, nous fit lâcher les gages que nous avait valus la victoire de 1918, nous empêcha d'établir jamais, ni l'harmonie sociale, ni l'équilibre financier, figea notre défense dans la ligne Maginot, nous conduisit à Munich, détourna le dernier Gouvernement de la Troisième République, aux jours tragiques de 1940, de poursuivre la lutte dans l'Empire et aboutit, enfin, à l'effondrement et à la capitulation.

Nous incarnons, nous autres, le contraire de cette politique du perpétuel recul. C'est parce que, dans l'extrémité, nous pûmes rendre à la nation confiance en elle-même, conduire son effort avec autorité et commencer la rénovation, que la guerre fut gagnée, que le pays fut redressé, que la liberté et l'ordre furent restaurés. Mais, à peine cela était-il fait, qu'on vit le régime des partis se rétablir contre nous, trompant d'abord le pauvre monde par des programmes et des prospectus, pour s'engluer ensuite dans une stagnation lamentable. Et, comme ses clans et ses groupes se sentent désormais condamnés, ils achèvent de se coaguler dans le conservatisme des sièges et des places.

On comprend donc très bien pourquoi nous, qui voulons la France agissante et indépendante, trouvons devant nous deux catégories d'opposants. D'un côté, ou, comme on eût dit jadis, « à notre gauche », les séparatistes. De l'autre côté, ou, « à notre droite », la coopérative de conservation politicienne et sociale qui, pour le moment, s'appelle : Troisième Force. Je ne commettrai certes pas l'erreur ni l'injustice de mettre sur le même plan les opposants des deux espèces. Les premiers sont les ennemis de l'État. Les seconds ne font que lui nuire. Mais les uns, comme les autres, font obstacle au redressement. Il en est ainsi, d'abord pour ce qui concerne la question principale, celle qui est au fond du drame de notre siècle, je veux dire la question de la condition ouvrière.

Un jour, la machine a paru. Le capital l'a épousée. Le couple a pris possession du monde. Dès lors, beaucoup d'hommes, surtout les ouvriers, sont tombés sous sa dépendance. Liés aux machines quant à leur travail, au patron quant à leur salaire : ils se sentent moralement réduits et matériellement menacés. Et voilà la lutte des classes ! Elle est partout, aux ateliers, aux champs, aux bureaux, dans la rue, au fond des yeux et des âmes. Elle empoisonne les rapports humains, affole les États, brise l'unité des nations, fomente les guerres.

Car, c'est bien la question sociale, toujours posée, jamais résolue, qui est à l'origine des grandes secousses subies depuis trente-cinq ans. Aujourd'hui, c'est la même question, toujours posée, jamais résolue, qui pousse le monde vers un drame nouveau. C'est elle qui fournit de prétextes la tyrannie qui s'étend sur les deux tiers de l'Europe et de l'Asie. C'est elle qui, chez nous, procure aux séparatistes tant de concours désespérés. C'est elle qui empêche la prospérité de prendre son essor pour adoucir les misères humaines. Ah ! les pays libres peuvent bien déployer leur propagande et se ruiner en armements, l'épée, de Damoclès demeurera suspendue tant que chaque homme ne trouvera pas dans la société sa place, sa part, sa dignité.

Eh bien ! Nous voulons cela ! D'autres peuvent le caricaturer, nous sommes les seuls à pouvoir le faire. C'est l'Association des hommes, de leurs intérêts, de leurs capacités, que nous entendons bâtir. Ce sont des sociétaires, et non des adversaires, qui, selon nous, doivent assurer ensemble la marche des entreprises. Ce sont des contrats, établis en vue du meilleur rendement et assurant à chacun sa part des bénéfices, qui doivent remplacer aussi bien le dirigisme des prix et salaires que le système de ces conventions qui ne sont que des armistices. En raison de tout ce que la France a souffert et de tout ce qui la menace, nous avons décidé, nous, de réaliser cette réforme. Nous y appelons le peuple français. Il nous faut, pour y réussir, vaincre les séparatistes qui ne veulent pas que les plaies soient guéries. Il nous faut aussi faire liquider par le pays la coopérative qui étale maintenant son impuissance au milieu de l'angoisse ouvrière, des affaires ralenties, des grèves pourrissantes, des conciliations .avortées, et pour qui le mouvement serait une mortelle catastrophe.

Nous avons choisi, nous, une fois pour toutes pour le présent et l'avenir. N'est-ce pas ? les jeunes, qui m'entendez !

Mais nous savons bien, nous autres, que l'indépendance, la rénovation exigent un régime capable de mettre en oeuvre l'État et de conduire la nation. C'est le contraire, bien entendu, qu'ont réalisé et que maintiennent contre nous les séparatistes, unis pour cela aux coopérateurs de la conservation. Les premiers, en effet, jugent que ce système de confusion favorise leurs entreprises. Les seconds s'accrochent à une bâtisse où s'abritent les jeux, intrigues, vanités, qui font la vie des partis. Nous voulons, nous, arracher les Pouvoirs publics à la discrétion des chapelles, faire en sorte que le Gouvernement, le Parlement, la Justice, soient séparés et, par conséquent, responsables chacun pour son compte, avec, au-dessus d'eux, un arbitrage national qui puisse recourir au pays. Nous voulons que notre peuple se rassemble pour son salut, au lieu de se laisser diviser et subdiviser par des fractions dont les querelles l'épuisent, servent ses adversaires et ne nourrissent que les partisans.

Hier, tandis que la France, opprimée par l'invasion et étouffant sous l'humiliation, entendait les voix du parti pris, du mensonge, du renoncement, retentir à tous les échos, moi-même et mes compagnons n'avons jamais cessé de dire : « Rien ne compte, excepté de vaincre. Il n'y a qu'une route à suivre, celle du combat ! » Quant à nous, à aucun moment, nous ne fîmes autre chose que d'agir pour y réussir sans concéder en rien à la mollesse, ni au désespoir. Nous étions peu, au départ. Mais, à mesure des événements, combien de Français nous rallièrent de corps ou d'âme, y compris beaucoup de ceux qui, d'abord, nous avaient négligés ou même combattus ! A la fin, par la voix de Paris criant sa joie sur les Champs-Élysées, la nation tout entière devait nous donner raison.

Aujourd'hui, dans le tumulte d'un monde en fusion, au milieu de tant d'appels à la haine ou à la faiblesse, parmi tous les intérêts opposés et embrouillés, moi-même et mes compagnons disons au pays : « Rien ne compte excepté de renaître. Rétablir l'unité, avant tout par l'harmonie sociale ; maintenir l'indépendance ; bâtir l'État qu'il nous faut avec sa force et sa justice. C'est le salut ». Et nous marchons vers le but, sans nous en laisser détourner par aucune combinaison. Nous sommes sûrs qu'à la masse des Français qui nous a déjà rejoints s'ajoutent, pas à pas, beaucoup de ceux qui, d'abord, ne nous entendirent pas ou refusèrent de nous suivre.

Travailleurs ! C'est avec vous, d'abord, que je veux bâtir la France nouvelle. Quand encore une fois, ensemble, nous aurons gagné la partie, en dépit des excitations des destructeurs et des intrigues des diviseurs, on apercevra tout à coup une nation joyeuse et rassemblée où, je vous en réponds, vous aurez votre digne place. Alors, on verra sortir, des voiles qui le cachent encore, le visage radieux de la France !


Discours prononcé place de la République à Paris, 4 septembre 1958

C'est en un temps où il lui fallait se réformer ou se briser que notre peuple, pour la première fois, recourut à la République. Jusqu'alors, au long des siècles, l'Ancien régime avait réalisé l'unité et maintenu l'intégrité de la France. Mais, tandis qu'une immense vague de fond se formait dans les profondeurs, il se montrait hors d'état de s'adapter à un monde nouveau. C'est alors, qu'au milieu de la tourmente nationale et de la guerre étrangère, apparut la République. Elle était la souveraineté du peuple, l'appel de la liberté, l'espérance de la justice. Elle devait rester cela à travers les péripéties agitées de son histoire. Aujourd'hui, autant que jamais, nous voulons qu'elle le demeure.
 
Certes, la République a revêtu des formes diverses au cours de ses règnes successifs. En 1792, on la vit révolutionnaire et guerrière, renverser trônes et privilèges, pour succomber, huit ans plus tard, dans les abus et les troubles qu'elle n'avait pu maîtriser. En 1848, on la vit s'élever au-dessus des barricades, se refuser à l'anarchie, se montrer sociale au-dedans et fraternelle au-dehors, mais bientôt s'effacer encore faute d'avoir accordé l'ordre avec l'élan du renouveau. Le 4 septembre 1870, au lendemain de Sedan, on la vit s'offrir au pays pour réparer le désastre.
 
De fait, la République sut relever la France, reconstituer les armées, recréer un vaste empire, renouer des alliances solides, faire de bonnes lois sociales, développer l'instruction. Si bien qu'elle eut la gloire d'assurer, pendant la Première Guerre mondiale, notre salut et notre victoire. Le 11 novembre, quand le peuple s'assemble et que les drapeaux s'inclinent pour la commémoration, l'hommage que la patrie décerne à ceux qui l'ont bien servie s'adresse aussi à la République.
 
Cependant, le régime comportait des vices de fonctionnement qui avaient pu sembler supportables à une époque assez statique, mais qui n'étaient plus compatibles avec les mouvements humains, les changements économiques, les périls extérieurs, qui précédaient la Deuxième Guerre mondiale. Faute qu'on y eût remédié, les événements terribles de 1940 emportèrent tout. Mais quand, le 18 juin, commença le combat pour la libération de la France, il fut aussitôt proclamé que la République à refaire serait une République nouvelle. La résistance tout entière ne cessa pas de l'affirmer.
 
On sait, on ne sait que trop, ce qu'il advint de ces espoirs. On sait, on ne sait que trop, qu'une fois le péril passé, tout fut livré et confondu à la discrétion des partis. On sait, on ne sait que trop, quelles en furent les conséquences. A force d'inconsistance et d'instabilité et quelles que pussent être les intentions, souvent la valeur, des hommes, le régime se trouva privé de l'autorité intérieure et de l'assurance extérieure sans lesquelles il ne pouvait agir. Il était inévitable que la paralysie de l'État amenât une grave crise nationale et qu'aussitôt la République fût menacée d'effondrement.
 
Le nécessaire a été fait pour obvier à l'irrémédiable à l'instant même où il était sur le point de se produire. Le déchirement de la nation fut, de justesse, empêché. On a pu sauvegarder la chance ultime de la République. C'est dans la légalité que moi-même et mon gouvernement avons assumé le mandat exceptionnel d'établir un projet de nouvelle Constitution et de le soumettre à la décision du peuple.
 
Nous l'avons fait sur la base des principes posés lors de notre investiture. Nous l'avons fait avec la collaboration du Conseil consultatif institué par la loi. Nous l'avons fait compte tenu de l'avis solennel du Conseil d'État. Nous l'avons fait après délibérations très libres et très approfondies de nos propres Conseils de ministres ; ceux-ci formés d'hommes aussi divers que possible d'origines et, de tendances, mais résolument solidaires. Nous l'avons fait, sans avoir, entre-temps, attenté à aucun droit du peuple, ni à aucune liberté publique. La nation, qui seule juge, approuvera ou repoussera notre oeuvre. Mais c'est en toute conscience que nous la lui proposons.
 
Ce qui, pour les pouvoirs publics, est désormais primordial, c'est leur efficacité et leur continuité. Nous vivons en un temps où des forces gigantesques sont en train de transformer le monde. Sous peine de devenir un peuple périmé et dédaigné, il nous faut, dans les domaines scientifique, économique, social, évoluer rapidement. D'ailleurs à cet impératif répondent le goût du progrès et la passion des réussites techniques qui se font jour parmi les Français et, d'abord, dans notre jeunesse. Il y a là des faits qui dominent notre existence nationale et doivent, par conséquent, commander nos institutions.
 
La nécessité de rénover l'agriculture et l'industrie, de procurer les moyens de vivre, de travailler, de s'instruire, de se loger, à notre population rajeunie, d'associer les travailleurs à la marche des entreprises, nous pousse à être, dans les affaires publiques, dynamiques et expéditifs. Le devoir de ramener la paix en Algérie, ensuite celui de la mettre en valeur, enfin celui de régler la question de son statut et de sa place dans notre ensemble, nous imposent des efforts difficiles et prolongés. Les perspectives que nous ouvrent les ressources du Sahara sont magnifiques, certes, mais complexes. Les rapports entre la métropole et les territoires d'outre-mer exigent une profonde adaptation. L'univers est traversé de courants qui mettent en cause l'avenir de l'espèce humaine et portent la France à se garder, tout en jouant le rôle de mesure, de paix, de fraternité, que lui dicte sa vocation. Bref, la nation française refleurira ou périra suivant que l'État aura ou n'aura pas assez de force, de constance, de prestige, pour la conduire là où elle doit aller.
 
C'est donc pour le peuple que nous sommes, au siècle et dans le monde où nous sommes, qu'a été établi le projet de Constitution. Que le pays puisse être effectivement dirigé par ceux qu'il mandate et leur accorde la confiance qui anime la légitimité. Qu'il existe, au-dessus des luttes politiques, un arbitre national, élu par les citoyens qui détiennent un mandat public, chargé d'assurer le fonctionnement régulier des institutions, ayant le droit de recourir au jugement du peuple souverain, répondant, en cas d'extrême péril, de l'indépendance, de l'honneur, de l'intégrité de la France et du salut de la République. Qu'il existe un gouvernement qui soit fait pour gouverner, à qui on en laisse le temps et la possibilité, qui ne se détourne pas vers autre chose que sa tâche, et qui, par là, mérite l'adhésion du pays. Qu'il existe un parlement destiné à représenter la volonté politique de la nation, à voter les lois, à contrôler l'exécutif, sans prétendre sortir de son rôle. Que gouvernement et parlement collaborent mais demeurent séparés quant à leurs responsabilités et qu'aucun membre de l'un ne puisse, en même temps, être membre de l'autre. Telle est la structure équilibrée que doit revêtir le pouvoir. Le reste dépendra des hommes.
 
Qu'un conseil économique et social, désigné en dehors de la politique par les organisations professionnelles et syndicales du pays et de l'outre-mer, fournisse ses avis au parlement et au gouvernement. Qu'un comité constitutionnel, dégagé de toute attache, ait qualité pour apprécier si les lois votées sont conformes à la Constitution et si les élections diverses ont eu lieu régulièrement. Que l'autorité judiciaire soit assurée de son indépendance et demeure la gardienne de la liberté de chacun. La compétence, la dignité, l'impartialité de l'État en seront mieux garanties.
 
Qu'entre la nation française et ceux des territoires d'outremer qui le veulent, soit formée une Communauté, au sein de laquelle chaque territoire va devenir un État qui se gouvernera lui-même, tandis que la politique étrangère, la défense, la monnaie, la politique économique et financière, celle des matières premières, le contrôle de la justice, l'enseignement supérieur, les communications lointaines, constitueront un domaine commun dont auront à connaître les organes de la Communauté : Président, Conseil exécutif, Sénat, Cour d'arbitrage. Ainsi, cette vaste organisation rénovera-t-elle l'ensemble humain groupé autour de la France. Ce sera fait en vertu de la libre détermination de tous. En effet, chaque territoire aura la faculté, soit d'accepter par son vote au référendum la proposition de la France, soit de la refuser et, par là même, de rompre avec elle tout lien. Devenu membre de la Communauté, il pourra dans l'avenir, après s'être mis d'accord avec les organes communs, assumer son propre destin indépendamment des autres.
 
Qu'enfin, pendant les quatre mois qui suivront le référendum, le gouvernement ait la charge des affaires du pays et fixe, en particulier, le régime électoral. De cette façon, pourront être prises, sur mandat donné par le peuple, les dispositions nécessaires à la mise en place des nouvelles institutions.
 
Voilà, Françaises, Français, de quoi s'inspire et en quoi consiste la Constitution qui sera, le 28 septembre, soumise à vos suffrages. De tout mon coeur, au nom de la France, je vous demande de répondre : OUI !
 
Si vous ne le faites pas, nous en reviendrons, le jour même, aux errements que vous savez. Si vous le faites, le résultat sera de rendre la République forte et efficace, pourvu que les responsables sachent, désormais, le vouloir ! Mais il y aura aussi, dans cette manifestation positive de la volonté nationale, la preuve que notre pays retrouve son unité et, du coup, les chances de sa grandeur. Le monde, qui discerne fort bien quelle importance notre décision va revêtir pour lui-même, en tirera la conclusion. Peut-être l'a-t-il, dès à présent, tirée ! Un grand espoir se lèvera sur la France. Je crois qu'il est déjà levé !
 
Vive la République !
 
Vive la France !

 


Discours de Phnom-Penh

De tout cœur, je remercie Son Altesse Royale le prince Norodom Sihanouk de nous réserver un accueil aussi magnifique dans sa noble capitale. En même temps, je remercie le peuple khmer de m'apporter cet extraordinaire témoignage de sa généreuse confiance, ainsi que de l'amitié profonde qui unit nos deux pays.
 
L'amitié, la confiance ! Oui ! Entre le Cambodge et la France, quelle que soit la diversité des origines et des latitudes, que d'affinités, en effet ! De part et d'autre, une histoire chargée de gloires et de douleurs, une culture et un art exemplaires, une terre féconde, aux frontières vulnérables, entourée d'ambitions étrangères et au-dessus de laquelle le péril est sans cesse suspendu. Le fait, qu'il y a un siècle, les deux nations associèrent pour un temps leurs destinées a pu, certes, aider le Cambodge à maintenir son intégrité tandis que la France y trouvait un très utile concours. Mais, ensuite, ayant, d'un commun accord, séparé leurs souverainetés et donné comme base à leurs rapports une amicale coopération, voici que l'estime et l'affection que se portent mutuellement les deux peuples sont aujourd'hui plus grandes que jamais.
 
Cette estime et cette affection, il me faut dire que, pour nous Français, elles sont amplement justifiées par ce que fait le Cambodge, depuis qu'il y a treize ans il a repris l'entière disposition de lui-même. Nous voyons le Royaume, malgré de graves difficultés, agir en faveur de l'équilibre et de la paix dans la région du monde où il se trouve, tout en maintenant sa personnalité, sa dignité, son indépendance. Nous assistons, sous l'impulsion très dynamique de Votre Altesse Royale, à un développement intérieur, dont des centaines d'écoles, d'hôpitaux, de dispensaires, des milliers de petites et de moyennes entreprises, des milliers de kilomètres de routes et de pistes, des dizaines de milliers d'hectares de plantations - le tout réalisé par des ingénieurs, des experts, des travailleurs cambodgiens - attestent d'année en année la vigueur et l'étendue. La devise "Le Cambodge s'aide lui-même", que Votre gouvernement a inscrite sur tous les chantiers, est, pour le peuple khmer, un motif de juste fierté et, pour d'autres, un encourageant exemple. Nous constatons, au surplus, que cet effort national ne détourne nullement votre pays de recourir à la langue et à la culture françaises, ainsi qu'aux professeurs, aux techniciens, aux médecins, aux industriels français, pour aider à ses propres progrès, tout en utilisant des concours fournis d'ailleurs et en faisant légitimement en sorte que les réalisations accomplies sur son territoire aient été voulues par lui et le servent directement. Au total, nous voyons le Cambodge, bien qu'il demeure fidèle à ses antiques traditions, s'ouvrir délibérément à la civilisation moderne et, grâce à une rare stabilité intérieure, accomplir pas à pas, au profit de tous ses enfants, une remarquable transformation.
 
Mais, tandis que le Royaume avance dans la bonne voie, pourquoi faut-il qu'à ses frontières la guerre provoque un déchaînement de massacres et de ruines qui menace son propre avenir ?
Ces malheurs, le Chef de l'État khmer les avait prévus, mais il avait aussi indiqué à temps ce qu'il convenait de faire pour les conjurer, à condition qu'on le voulût de bonne foi. Au lendemain des accords de Genève de 1954, le Cambodge choisissait, avec courage et lucidité, la politique de la neutralité, qui découlait de ces accords et qui, dès lors que ne s'exerçait plus la responsabilité de la France, aurait seule pu épargner à l'Indochine de devenir un terrain d'affrontement pour les dominations et idéologies rivales et une sollicitation pour l'intervention américaine. C'est pourquoi, tandis que votre pays parvenait à sauvegarder son corps et son âme parce qu'il restait maître chez lui, on vit l'autorité politique et militaire des États-Unis s'installer à son tour au Viêt-nam du Sud et, du même coup, la guerre s'y ranimer sous la forme d'une résistance nationale. Après quoi, des illusions relatives à l'emploi de la force conduisirent au renforcement continuel du Corps expéditionnaire et à une escalade de plus en plus étendue en Asie, de plus en plus proche de la Chine, de plus en plus provocante à l'égard de l'Union Soviétique, de plus en plus réprouvée par nombre de peuples d'Europe, d'Afrique, d'Amérique latine, et, en fin de compte, de plus en plus menaçante pour la paix du monde.
 
Devant une telle situation, dont tout donne, hélas ! à penser qu'elle va aller en s'aggravant, je déclare ici que la France approuve entièrement l'effort que déploie le Cambodge pour se tenir en dehors du conflit et qu'elle continuera de lui apporter dans ce but son soutien et son appui. Oui ! La position de la France est prise. Elle l'est par la condamnation qu'elle porte, sur les actuels événements. Elle l'est par sa résolution de n'être pas, où que ce soit et quoi qu'il arrive, automatiquement impliquée dans l'extension éventuelle du drame et de garder, en tout cas, les mains libres. Elle l'est, enfin, par l'exemple qu'elle-même a donné naguère en Afrique du Nord, en mettant délibérément un terme à des combats stériles sur un terrain que, pourtant, ses forces dominaient sans conteste, qu'elle administrait directement depuis cent trente-deux ans et où étaient installés plus d'un million de ses enfants. Mais, comme ces combats n'engageaient ni son bonheur, ni son indépendance et qu'à l'époque où nous sommes ils ne pouvaient aboutir à rien qu'à des pertes, des haines, des destructions, sans cesse accrues, elle a voulu et su en sortir sans qu'aient, de ce fait, souffert - bien au contraire ! - son prestige, sa puissance et sa prospérité.
 
Eh bien ! La France considère que les combats qui ravagent l'Indochine n'apportent, par eux-mêmes et eux non plus, aucune issue. Suivant elle, s'il est invraisemblable que l'appareil guerrier américain vienne à être anéanti sur place, il n'y a, d'autre part, aucune chance pour que les peuples de l'Asie se soumettent à la loi de l'étranger venu de l'autre Pacifique, quelles que puissent être ses intentions et si puissantes que soient ses armes. Bref, pour longue et dure que doive être l'épreuve, la France tient pour certain qu'elle n'aura pas de solution militaire.
 
A moins que l'univers ne roule vers la catastrophe, seul un accord politique pourrait donc rétablir la paix. Or, les conditions d'un pareil accord étant bien claires et bien connues, il est encore temps d'espérer. Tout comme celui de 1954, l'accord aurait pour objet d'établir et de garantir la neutralité des peuples de l'Indochine et leur droit de disposer d'eux-mêmes tels qu'ils sont effectivement, en laissant à chacun d'eux la responsabilité entière de ses affaires. Les contractants seraient donc les pouvoirs réels qui s'y exercent et, parmi les autres États, tout au moins les cinq puissances mondiales. Mais la possibilité et, à plus forte raison, l'ouverture d'une aussi vaste et difficile négociation dépendraient, évidemment, de la décision et de l'engagement qu'aurait auparavant voulu prendre l'Amérique, de rapatrier ses forces dans un délai convenable et déterminé.
 
Sans nul doute, une pareille issue n'est pas du tout mûre aujourd'hui, à supposer qu'elle le devienne jamais. Mais la France estime nécessaire d'affirmer qu'à ses yeux il n'en existe aucune autre, sauf à condamner le monde à des malheurs toujours grandissants. La France le dit au nom de son expérience et de son désintéressement. Elle le dit en raison de l'œuvre qu'elle a accomplie naguère dans cette région de l'Asie, des liens qu'elle y a conservés, de l'intérêt qu'elle continue de porter aux peuples qui y vivent et dont elle sait que ceux-ci le lui rendent. Elle le dit à cause de l'amitié exceptionnelle et deux fois séculaire que, d'autre part, elle porte à l'Amérique, de l'idée que, jusqu'à présent elle s'en était faite, comme celle-ci se la faisait d'elle-même, savoir celle d'un pays champion de la conception suivant laquelle il faut laisser les peuples disposer à leur façon de leur propre destin. Elle le dit compte tenu des avertissements que Paris a depuis longtemps multipliés à l'égard de Washington quand rien encore n'avait été commis d'irréparable. Elle le dit, enfin, avec la conviction, qu'au degré de puissance, de richesse, de rayonnement, auquel les États-Unis sont actuellement parvenus, le fait de renoncer, à leur tour, à une expédition lointaine dès lors qu'elle apparaît sans bénéfice et sans justification et de lui préférer un arrangement international organisant la paix et le développement d'une importante région du monde, n'aurait rien, en définitive, qui puisse blesser leur fierté, contrarier leur idéal et nuire à leurs intérêts. Au contraire, en prenant une voie aussi conforme au génie de l'Occident, quelle audience les États-Unis retrouveraient-ils d'un bout à l'autre du monde et quelle chance recouvrerait la paix sur place et partout ailleurs ! En tout cas, faute d'en venir là, aucune médiation n'offrira une perspective de succès et c'est pourquoi la France, pour sa part, n'a jamais pensé et ne pense pas à en proposer aucune.
 
Où donc, mieux qu'à Phnom-Penh, aurais-je pu formuler cette attitude et cette espérance, puisque ce sont aussi celles du Cambodge, puisque le Royaume, au milieu de l'Indochine déchirée, apparaît comme un modèle d'unité et d'indépendance, puisque l'amitié active de nos deux gouvernements et de nos deux peuples est aujourd'hui plus vivante que jamais, puisqu'en voici la preuve inoubliable !
 
Vive le Cambodge !



Discours de Bayeux

Dans notre Normandie, glorieuse et mutilée, Bayeux et ses environs furent témoins d'un des plus grands événements de l'Histoire. Nous attestons qu'ils en furent dignes. C'est ici que, quatre années après le désastre initial de la France et des Alliés, débuta la victoire finale des Alliés et de la France. C'est ici que l'effort de ceux qui n'avaient jamais cédé et autour desquels s'étaient, à partir du 18 juin 1940, rassemblé l'instinct national et reformée la puissance française tira des événements sa décisive justification.

En même temps, c'est ici que sur le sol des ancêtres réapparut l'État ; l'État légitime, parce qu'il reposait sur l'intérêt et le sentiment de la nation ; l'État dont la souveraineté réelle avait été transportée du côté de la guerre, de la liberté et de la victoire, tandis que la servitude n'en conservait que l'apparence ; l'État sauvegardé dans ses droits, sa dignité, son autorité, au milieu des vicissitudes du dénuement et de l'intrigue ; l'État préservé des ingérences de l'étranger ; l'État capable de rétablir autour de lui l'unité nationale et l'unité impériale, d'assembler toutes les forces de la patrie et de l'Union française, de porter la victoire à son terme, en commun avec les Alliés, de traiter d'égal à égal avec les autres grandes nations du monde, de préserver l'ordre public, de faire rendre la justice et de commencer notre reconstruction.

Si cette grande oeuvre fut réalisée en dehors du cadre antérieur de nos institutions, c'est parce que celles-ci n'avaient pas répondu aux nécessités nationales et qu'elles avaient, d'elles-mêmes, abdiqué dans la tourmente. Le salut devait venir d'ailleurs. Il vint, d'abord, d'une élite, spontanément jaillie des profondeurs de la nation et qui, bien au-dessus de toute préoccupation de parti ou de classe, se dévoua au combat pour la libération, la grandeur et la rénovation de la France. Sentiment de sa supériorité morale, conscience d'exercer une sorte de sacerdoce du sacrifice et de l'exemple, passion du risque et de l'entreprise, mépris des agitations, prétentions, surenchères, confiance souveraine en la force et en la ruse de sa puissante conjuration aussi bien qu'en la victoire et en l'avenir de la patrie, telle fut la psychologie de cette élite partie de rien et qui, malgré de lourdes pertes, devait entraîner derrière elle tout l'Empire et toute la France.

Elle n'y eût point, cependant, réussi sans l'assentiment de l'immense masse française. Celle-ci, en effet, dans sa volonté instinctive de survivre et de triompher, n'avait jamais vu dans le désastre de 1940 qu'une péripétie de la guerre mondiale où la France servait d'avant-garde. Si beaucoup se plièrent, par force, aux circonstances, le nombre de ceux qui les acceptèrent dans leur esprit et dans leur coeur fut littéralement infime. Jamais la France ne crut que l'ennemi ne fût point l'ennemi et que le salut fût ailleurs que du côté des armes de la liberté. A mesure que se déchiraient les voiles, le sentiment profond du pays se faisait jour dans sa réalité. Partout où paraissait la croix de Lorraine s'écroulait l'échafaudage d'une autorité qui n'était que fictive, bien qu'elle fût, en apparence, constitutionnellement fondée. Tant il est vrai que les pouvoirs publics ne valent, en fait et en droit, que s'ils s'accordent avec l'intérêt supérieur du pays, s'ils reposent sur l'adhésion confiante des citoyens. En matière d'institutions, bâtir sur autre chose, ce serait bâtir sur du sable. Ce serait risquer de voir l'édifice crouler une fois de plus à l'occasion d'une de ces crises auxquelles, par la nature des choses, notre pays se trouve si souvent exposé.

Voilà pourquoi, une fois assuré le salut de l'État, dans la victoire remportée et l'unité nationale maintenue, la tâche par-dessus tout urgente et essentielle était l'établissement des nouvelles institutions françaises. Dès que cela fut possible, le peuple français fut donc invité à élire ses constituants, tout en fixant à leur mandat des limites déterminées et en se réservant à lui-même la décision définitive. Puis, une fois le train mis sur les rails, nous-mêmes nous sommes retirés de la scène, non seulement pour ne point engager dans la lutte des partis ce qu'en vertu des événements nous pouvons symboliser et qui appartient à la nation tout entière, mais encore pour qu'aucune considération relative à un homme, tandis qu'il dirigeait l'État , ne pût fausser dans aucun sens l'oeuvre des législateurs.

Cependant, la nation et l'Union française attendent encore une Constitution qui soit faite pour elles et qu'elles aient pu joyeusement approuver. A vrai dire, si l'on peut regretter que l'édifice reste à construire, chacun convient certainement qu'une réussite quelque peu différée vaut mieux qu'un achèvement rapide mais fâcheux.

Au cours d'une période de temps qui ne dépasse pas deux fois la vie d'un homme, la France fut envahie sept fois et a pratiqué treize régimes, car tout se tient dans les malheurs d'un peuple. Tant de secousses ont accumulé dans notre vie publique des poisons dont s'intoxique notre vieille propension gauloise aux divisions et aux querelles. Les épreuves inouïes que nous venons de traverser n'ont fait, naturellement, qu'aggraver cet état de choses. La situation actuelle du monde où, derrière des idéologies opposées, se confrontent des Puissances entre lesquelles nous sommes placés, ne laisse pas d'introduire dans nos luttes politiques un facteur de trouble passionné. Bref, la rivalité des partis revêt chez nous un caractère fondamental, qui met toujours tout en question et sous lequel s'estompent trop souvent les intérêts supérieurs du pays. Il y a là un fait patent, qui tient au tempérament national, aux péripéties de l'Histoire et aux ébranlements du présent, mais dont il est indispensable à l'avenir du pays et de la démocratie que nos institutions tiennent compte et se gardent, afin de préserver le crédit des lois, la cohésion des gouvernements, l'efficience des administrations, le prestige et l'autorité de l'État.

C'est qu'en effet, le trouble dans l'État a pour conséquence inéluctable la désaffection des citoyens à l'égard des institutions. Il suffit alors d'une occasion pour faire apparaître la menace de la dictature. D'autant plus que l'organisation en quelque sorte mécanique de la société moderne rend chaque jour plus nécessaires et plus désirés le bon ordre dans la direction et le fonctionnement régulier des rouages. Comment et pourquoi donc ont fini chez nous la Ière, la IIe, la IIIe Républiques ? Comment et pourquoi donc la démocratie italienne, la République allemande de Weimar, la République espagnole, firent-elles place aux régimes que l'on sait ? Et pourtant, qu'est la dictature, sinon une grande aventure ? Sans doute, ses débuts semblent avantageux. Au milieu de l'enthousiasme des uns et de la résignation des autres, dans la rigueur de l'ordre qu'elle impose, à la faveur d'un décor éclatant et d'une propagande à sens unique, elle prend d'abord un tour de dynamisme qui fait contraste avec l'anarchie qui l'avait précédée. Mais c'est le destin de la dictature d'exagérer ses entreprises. A mesure que se fait jour parmi les citoyens l'impatience des contraintes et la nostalgie de la liberté, il lui faut à tout prix leur offrir en compensation des réussites sans cesse plus étendues. La nation devient une machine à laquelle le maître imprime une accélération effrénée. Qu'il s'agisse de desseins intérieurs ou extérieurs, les buts, les risques, les efforts, dépassent peu à peu toute mesure. A chaque pas se dressent, au-dehors et au-dedans, des obstacles multipliés. A la fin, le ressort se brise. L'édifice grandiose s'écroule dans le malheur et dans le sang. La nation se retrouve rompue, plus bas qu'elle n'était avant que l'aventure commençât.

Il suffit d'évoquer cela pour comprendre à quel point il est nécessaire que nos institutions démocratiques nouvelles compensent, par elles-mêmes, les effets de notre perpétuelle effervescence politique. Il y a là, au surplus, pour nous une question de vie ou de mort, dans le monde et au siècle où nous sommes, où la position, d'indépendance et jusqu'à l'existence de notre pays et de notre Union Française se trouvent bel et bien en jeu. Certes, il est de l'essence même de la démocratie que les opinions s'expriment et qu'elles s'efforcent, par le suffrage, d'orienter suivant leurs conceptions l'action publique et la législation. Mais aussi tous les principes et toutes les expériences exigent que les pouvoirs publics : législatif, exécutif, judiciaire, soient nettement séparés et fortement équilibrés et, qu'au-dessus des contingences politiques, soit établi un arbitrage national qui fasse valoir la continuité au milieu des combinaisons.

Il est clair et il est entendu que le vote définitif des lois et des budgets revient à une Assemblée élue au suffrage universel et direct. Mais le premier mouvement d'une telle Assemblée ne comporte pas nécessairement une clairvoyance et une sérénité entières. Il faut donc attribuer à une deuxième Assemblée, élue et composée d'une autre manière, la fonction d'examiner publiquement ce que la première a pris en considération, de formuler des amendements, de proposer des projets. Or, si les grands courants de politique générale sont naturellement reproduits dans le sein de la Chambre des Députés, la vie locale, elle aussi, a ses tendances et ses droits. Elle les a dans la Métropole. Elle les a, au premier chef, dans les territoires d'outre-mer, qui se rattachent à l'Union Française par des liens très divers. Elle les a dans cette Sarre à qui la nature des choses, découverte par notre victoire, désigne une fois de plus sa place auprès de nous, les fils des Francs. L'avenir des 110 millions d'hommes et de femmes qui vivent sous notre drapeau est dans une organisation de forme fédérative, que le temps précisera peu à peu, mais dont notre Constitution nouvelle doit marquer le début et ménager le développement.

Tout nous conduit donc à instituer une deuxième Chambre dont, pour l'essentiel, nos Conseils généraux et municipaux éliront les membres. Cette Chambre complétera la première en l'amenant, s'il y a lieu, soit à réviser ses propres projets, soit à en examiner d'autres, et en faisant valoir dans la confection des lois ce facteur d'ordre administratif qu'un collège purement politique a forcément tendance à négliger. Il sera normal d'y introduire, d'autre part, des représentants, des organisations économiques, familiales, intellectuelles, pour que se fasse entendre, au-dedans même de l'État , la voix des grandes activités du pays. Réunis aux élus des assemblée locales des territoires d'outre-mer, les membres de cette Assemblée formeront le grand Conseil de l'Union française, qualifié pour délibérer des lois et des problèmes intéressant l'Union, budgets, relations extérieures, rapports intérieurs, défense nationale, économie, communications.

Du Parlement, composé de deux Chambres et exerçant le pouvoir législatif, il va de soi que le pouvoir exécutif ne saurait procéder, sous peine d'aboutir à cette confusion des pouvoirs dans laquelle le Gouvernement ne serait bientôt plus rien qu'un assemblage de délégations. Sans doute aura-t-il fallu, pendant la période transitoire où nous sommes, faire élire par l'Assemblée nationale constituante le Président du gouvernement provisoire, puisque, sur la table rase, il n'y avait aucun autre procédé acceptable de désignation. Mais il ne peut y avoir là qu'une disposition du moment. En vérité, l'unité, la cohésion, la discipline intérieure du gouvernement de la France doivent être des choses sacrées, sous peine de voir rapidement la direction même du pays impuissante et disqualifiée. Or, comment cette unité, cette cohésion, cette discipline, seraient-elles maintenues à la longue si le pouvoir exécutif émanait de l'autre pouvoir auquel il doit faire équilibre, et si chacun des membres du gouvernement, lequel est collectivement responsable devant la représentation nationale tout entière, n'était, à son poste, que le mandataire d'un parti ?

C'est donc du chef de l'État, placé au-dessus des partis, élu par un collège qui englobe le Parlement mais beaucoup plus large et composé de manière à faire de lui le Président de l'Union française en même temps que celui de la République, que doit procéder le pouvoir exécutif. Au chef de l'État la charge d'accorder l'intérêt général quant au choix des hommes avec l'orientation qui se dégage du Parlement. A lui la mission de nommer les ministres et, d'abord, bien entendu, le Premier, qui devra diriger la politique et le travail du gouvernement. Au chef de l'État la fonction de promulguer les lois et de prendre les décrets, car c'est envers l'État tout entier que ceux-ci et celles-là engagent les citoyens. A lui la tâche de présider les Conseils du gouvernement et d'y exercer cette influence de la continuité dont une nation ne se passe pas. A lui l'attribution de servir d'arbitre au-dessus des contingences politiques, soit normalement par le conseil, soit, dans les moments de grave confusion, en invitant le pays à faire connaître par des élections sa décision souveraine. A lui, s'il devait arriver que la patrie fût en péril, le devoir d'être le garant de l'indépendance nationale et des traités conclus par la France.

Des Grecs, jadis, demandaient au sage Solon : "Quelle est la meilleure Constitution ?" Il répondait : "Dites-moi, d'abord, pour quel peuple et à quelle époque ?" Aujourd'hui, c'est du peuple français et des peuples de l'Union française qu'il s'agit, et à une époque bien dure et bien dangereuse ! Prenons-nous tels que nous sommes. Prenons le siècle comme il est. Nous avons à mener à bien, malgré d'immenses difficultés, une rénovation profonde qui conduise chaque homme et chaque femme de chez nous à plus d'aisance, de sécurité, de joie, et qui nous fasse plus nombreux, plus puissants, plus fraternels. Nous avons à conserver la liberté sauvée avec tant et tant de peine. Nous avons à assurer le destin de la France au milieu de tous les obstacles qui se dressent sur sa route et sur celle de la paix. Nous avons à déployer, parmi nos frères les hommes, ce dont nous sommes capables, pour aider notre pauvre et vieille mère, la Terre. Soyons assez lucides et assez forts pour nous donner et pour observer des règles de vie nationale qui tendent à nous rassembler quand, sans relâche nous sommes portés à nous diviser contre nous-mêmes ! Toute notre Histoire, c'est l'alternance des immenses douleurs d'un peuple dispersé et des fécondes grandeurs d'une nation libre groupée sous l'égide d'un Etat fort.



Discours d' Epinal

L'engagement que nous avions pris, nous l'avons purement et simplement tenu ! Dès que possible, nous avons invité à voter tous les Français et toutes les Françaises pour élire d'abord les Conseils municipaux et puis les Conseils généraux. Enfin, une Assemblée nationale à laquelle nous avons remis immédiatement et sans réserve, comme nous l'avions toujours promis, les pouvoirs que nous exercions depuis plus de cinq lourdes années. Entre-temps, nous avons gouverné. C'est pourquoi, soit dit en passant, nous accueillons avec un mépris de fer les imputations dérisoires (inaudible) [L'ensemble], ceci implique des institutions locales propres à chaque territoire et des institutions communes : Conseils des Etats, assemblée de l'Union française, Président de l'Union française, ministre chargé des activités communes. Depuis que le travail constitue (...) Cette nuit, par l'Assemblée nationale, ne nous paraît pas satisfaisant ! Que l'Etat ait enrayé, à la fois par l'omnipotence et par la division des partis, est-il bon, nous le demandons, de faire en sorte que les partis aient organiquement à leur disposition totale, à leur gré, à tout instant tous les pouvoirs de la République ? Alors que tout le monde constate les fâcheux effets [...] équilibrés. Dans ce monde dur et dangereux où le rassemblement des Slaves, rassemblement ambitieux, réalisé bon gré mal gré sous l'égide d'un pouvoir sans bornes, se dresse en face de la jeune Amérique, toute débordante de ressources, et qui vient à son tour de découvrir les perspectives de la puissance guerrière. La France et l'Union française n'ont de chance de sauvegarder leur indépendance, leur sécurité et leur droit, que si l'Etat est capable de porter dans un sens déterminé une responsabilité pesante et continue, les problèmes immenses du présent et de l'avenir que nous avons à résoudre. Conditions de la vie des personnes et des familles et d'abord, des moins avantagés, restauration financière, activité économique du pays, réformes sociales et morales, organisation de l'Union française, défense nationale, refonte de l'administration, positions et actions de la France dans le monde. Ces problèmes-là, comment les résoudrons-nous sinon sous la conduite d'un Etat juste et fort ? Ces convictions-là sont les nôtres. Elles ne sont pas d'un parti. Elles ne sont de gauche ni de droite. Elles n'ont pas d'autre objet que d'être utiles au pays. Ils le savent bien et elles le savent bien, tous les hommes et toutes les femmes de chez nous, dont nous avons pu souvent éveiller l'esprit et toucher le coeur en leur demandant de s'unir à nous pour servir la France. Aujourd'hui, nous en sommes certains : il n'y aura pas de victoire définitive, excepté pour la clarté et pour la fermeté, qui sont au total toujours les habiletés suprêmes et d'où naîtront les institutions qui conduiront la France vers son salut et vers son renouveau, dans l'Etat républicain.



Discours sur l'élection du Président au suffrage universel, 18 octobre 1962


Françaises, Français !

Le 28 octobre, ce que vous allez répondre à ce que je vous demande engagera le destin de la France. J'ai le devoir de vous dire pourquoi.

Tout le monde sait qu'en adoptant, sur ma proposition, la Constitution de 1958, notre peuple a condamné, à une immense majorité, le régime désastreux qui livrait la République à la discrétion des partis et, une fois de plus, avait failli jeter la France au gouffre. Tout le monde sait que, par le même vote, notre peuple a institué un Président, chef de l'État, guide de la France, clef de voûte des institutions, et a consacré le référendum qui permet au Président de soumettre directement au pays ce qui peut être essentiel. Tout le monde sait, qu'en même temps, notre peuple m'a fait confiance pour régler, avec mon gouvernement, les lourds problèmes devant lesquels venait de s'effondrer le système de la décadence : menace immédiate de faillite, absurde conflit algérien, danger grave d'opposition entre la nation et son armée, abaissement de la France au milieu d'un monde qui lui était, alors, malveillant ou méprisant.

Cette mission, si j'ai pu, jusqu'à présent, la remplir, c'est tout d'abord parce que j'étais sûr que vous m'en approuviez. Mais c'est aussi parce que nos institutions nouvelles me donnaient les moyens de faire ce qu'il fallait. Ainsi ai-je pu, pendant quatre années, sans altérer les droits des citoyens ni les libertés publiques, assurer la conduite du pays vers le progrès, la prospérité, la grandeur, étouffer à mesure les menaces criminelles qui se dressaient contre l'État et empêcher le retour aux vices du régime condamné.

Comme la preuve est ainsi faite de la valeur d'une Constitution qui veut que l'État ait une tête et comme, depuis que je joue ce rôle, personne n'a jamais pensé que le président de la République était là pour autre chose, je crois, en toute conscience, que le peuple français doit marquer maintenant par un vote solennel qu'il veut qu'il en soit ainsi, aujourd'hui, demain et plus tard. Je crois que c'est, pour lui, le moment d'en décider, car, autrement, les attentats qui ont été perpétrés et ceux qui sont préparés font voir que ma disparition risquerait de replonger la France dans la confusion de naguère et, bientôt, dans la catastrophe. Bref, je crois que, quoi qu'il arrive, la nation doit avoir, désormais, le moyen de choisir elle-même son Président à qui cette investiture directe pourra donner la force et l'obligation d'être le guide de la France et le garant de l'État.

C'est pourquoi, Françaises, Français, m'appuyant sur notre Constitution, usant du droit qu'elle me donne formellement de proposer au peuple souverain, par voie de référendum, tout projet de loi qui porte sur l'organisation des pouvoirs publics, mesurant, mieux que jamais, la responsabilité historique qui m'incombe à l'égard de la patrie, je vous demande, tout simplement, de décider que dorénavant vous élirez votre Président au suffrage universel.

Si votre réponse est : "Non" ! comme le voudraient tous les anciens partis afin de rétablir leur régime de malheur, ainsi que tous les factieux pour se lancer dans la subversion, ou même si la majorité des "Oui" ! est faible, médiocre, aléatoire, il est bien évident que ma tâche sera terminée aussitôt et sans retour. Car, que pourrais-je faire, ensuite, sans la confiance chaleureuse de la Nation ?

Mais si, comme je l'espère, comme je le crois, comme j'en suis sûr, vous me répondez "Oui" ! une fois de plus et en masse, alors me voilà confirmé par vous toutes et par vous tous dans la charge que je porte ! Voilà le pays fixé, la République assurée et l'horizon dégagé ! Voilà le monde décidément certain du grand avenir de la France !

Vive la République !

Vive la France !



Discours de Brazzaville

Si l'on voulait juger des entreprises de notre temps suivant les errements anciens, on pourrait s'étonner que le Gouvernement français ait décidé de réunir cette Conférence africaine.

"Attendez !" nous conseillerait, sans doute, la fausse prudence d'autrefois. "La guerre n'est pas à son terme. Encore moins peut-on savoir ce que sera demain la paix. La France, d'ailleurs, n'a-t-elle pas, hélas ! des soucis plus immédiats que l'avenir de ses territoires d'outre-mer ?"

Mais il a paru au gouvernement que rien ne serait, en réalité, moins justifié que cet effacement, ni plus imprudent que cette prudence. C'est qu'en effet, loin que la situation présente, pour cruelle et compliquée qu'elle soit, doive nous conseiller l'abstention, c'est, au contraire, l'esprit d'entreprise qu'elle nous commande. Cela est vrai dans tous les domaines, en particulier dans celui que va parcourir la Conférence de Brazzaville. Car, sans vouloir exagérer l'urgence des raisons qui nous pressent d'aborder l'étude d'ensemble des problèmes africains français, nous croyons que les immenses événements qui bouleversent le monde nous engagent à ne pas tarder ; que la terrible épreuve que constitue l'occupation provisoire de la Métropole par l'ennemi ne retire rien à la France en guerre de ses devoirs et de ses droits enfin, que le rassemblement, maintenant accompli, de toutes nos possessions d'Afrique nous offre une occasion excellente de réunir, à l'initiative et sous la direction de M. le Commissaire aux Colonies, pour travailler ensemble, confronter leurs idées et leur expérience, les hommes qui ont l'honneur et la charge de gouverner, au nom de la France, ses territoires africains. Où donc une telle réunion devait-elle se tenir, sinon à Brazzaville, qui, pendant de terribles années, fut le refuge de notre honneur et de notre indépendance et qui restera l'exemple du plus méritoire effort français ?

Depuis un demi-siècle, à l'appel d'une vocation civilisatrice vieille de beaucoup de centaines d'années, sous l'impulsion des gouvernements de la République et sous la conduite d'hommes tels que : Gallieni, Brazza, Dodds, Joffre, Binger, Marchand, Gentil, Foureau, Lamy, Borgnis-Desbordes, Archinard, Lyautey, Gouraud, Mangin, Largeau, les Français ont pénétré, pacifié, ouvert au monde, une grande partie de cette Afrique noire, que son étendue, les rigueurs du climat, la puissance des obstacles naturels, la misère et la diversité de ses populations avaient maintenue, depuis l'aurore de l'Histoire, douloureuse et imperméable.

Ce qui a été fait par nous pour le développement des richesses et pour le bien des hommes, à mesure de cette marche en avant, il n'est, pour le discerner, que de parcourir nos territoires et, pour le reconnaître, que d'avoir du coeur. Mais, de même qu'un rocher lancé sur la pente roule plus vite à chaque instant, ainsi l'oeuvre que nous avons entreprise ici nous impose sans cesse de plus larges tâches. Au moment où commençait la présente guerre mondiale, apparaissait déjà la nécessité d'établir sur des bases nouvelles les conditions de la mise en valeur de notre Afrique, du progrès humain de ses habitants et de l'exercice de la souveraineté française.

Comme toujours, la guerre elle-même précipite l'évolution. D'abord, par le fait qu'elle fut, jusqu'à ce jour, pour une bonne part, une guerre africaine et que, du même coup, l'importance absolue et relative des ressources, des communications, des contingents d'Afrique, est apparue dans la lumière crue des théâtres d'opérations. Mais ensuite et surtout parce que cette guerre a pour enjeu ni plus ni moins que la condition de l'homme et que, sous l'action des forces psychiques qu'elle a partout déclenchées, chaque individu lève la tête, regarde au-delà du jour et s'interroge sur son destin.

S'il est une puissance impériale que les événements conduisent à s'inspirer de leurs leçons et à choisir noblement, libéralement, la route des temps nouveaux où elle entend diriger les soixante millions d'hommes qui se trouvent associés au sort de ses quarante-deux millions d'enfants, cette puissance c'est la France.

En premier lieu et tout simplement parce qu'elle est la France, c'est-à-dire la nation dont l'immortel génie est désigné pour les initiatives qui, par degrés, élèvent les hommes vers les sommets de dignité et de fraternité où, quelque jour, tous pourront s'unir. Ensuite parce que, dans l'extrémité où une défaite provisoire l'avait refoulée, c'est dans ses terres d'outre-mer, dont toutes les populations, dans toutes les parties du monde, n'ont pas, une seule minute, altéré leur fidélité, qu'elle a trouvé son recours et la base de départ pour sa libération et qu'il y a désormais, de ce fait, entre la Métropole et l'Empire, un lien définitif. Enfin, pour cette raison que, tirant à mesure du drame les conclusions qu'il comporte, la France est aujourd'hui animée, pour ce qui la concerne elle-même et pour ce qui concerne tous ceux qui dépendent d'elle, d'une volonté ardente et pratique de renouveau.

Est-ce à dire que la France veuille poursuivre sa tâche d'outremer en enfermant ses territoires dans des barrières qui les isoleraient du monde et, d'abord, de l'ensemble des contrées africaine ? Non, certes ! et, pour le prouver, il n'est que d'évoquer comment, dans cette guerre, l'Afrique Équatoriale et le Cameroun français n'ont cessé de collaborer de la façon la plus étroite avec les territoires voisins, Congo belge, Nigeria britannique, Soudan anglo-égyptien, et comment, à l'heure qu'il est, l'Empire français tout entier, à l'exception momentanée de l'Indochine, contribue dans d'importantes proportions, par ses positions stratégiques, ses voies de communications, sa production, ses bases aériennes, sans préjudice de ses effectifs militaires, à l'effort commun des Alliés.

Nous croyons que, pour ce qui concerne la vie du monde de demain, l'autarcie ne serait, pour personne, ni souhaitable, ni même possible. Nous croyons, en particulier, qu'au point de vue du développement des ressources et des grandes communications, le continent africain doit constituer, dans une large mesure, un tout. Mais, en Afrique française, comme dans tous les autres territoires où des hommes vivent sous notre drapeau, il n'y aurait aucun progrès qui soit un progrès, si les hommes, sur leur terre natale, n'en profitaient pas moralement et matériellement, s'ils ne pouvaient s'élever peu a peu jusqu'au niveau où ils seront capables de participer chez eux à la gestion de leurs propres affaires. C'est le devoir de la France de faire en sorte qu'il en soit ainsi.

Tel est le but vers lequel nous avons à nous diriger. Nous ne nous dissimulons pas la longueur des étapes. Vous avez, Messieurs les Gouverneurs généraux et Gouverneurs, les pieds assez bien enfoncés dans la terre d'Afrique pour ne jamais perdre le sens de ce qui y est réalisable et, par conséquent, pratique. Au demeurant, il appartient à la nation française et il n'appartient qu'à elle, de procéder, le moment venu, aux réformes impériales de structure qu'elle décidera dans sa souveraineté. Mais, en attendant, il faut vivre, et vivre chaque jour c'est entamer l'avenir.

Vous étudierez ici, pour les soumettre au gouvernement, quelles conditions morales, sociales, politiques, économiques et autres vous paraissent pouvoir être progressivement appliquées dans chacun de nos territoires, afin que, par leur développement même et le progrès de leur population, ils s'intègrent dans la communauté française avec leur personnalité, leurs intérêts, leurs aspirations, leur avenir.

Messieurs, la Conférence Africaine Française de Brazzaville est ouverte.



Discours sur la réforme régionale, Lyon 24 mars 1968


Que la Foire de Lyon s'ouvre cette année pour la cinquantième fois ; qu'elle ait eu pour antécédents de larges et francs marchés européens, inaugurés voici cinq siècles et demi en pleine guerre de Cent Ans et souvent renouvelés ensuite avec l'appui de nos rois ; qu'elle ait pris sa forme et son essor nouveaux au cours de la Première Guerre mondiale en un acte de foi dans le destin d'une France qui était alors en danger ; qu'elle se présente aujourd'hui comme la démonstration de la valeur moderne de notre économie relativement à celle des autres et multiplie ainsi les possibilités d'échanges et d'émulation, il y a là un fait éminemment national. C'est tout d'abord à ce titre que, déclarant la Foire ouverte, nous saluons la vigueur de son développement.

Mais aussi, c'est à Lyon, à son rôle, à son avenir, que nous rendons témoignage. Car si la capitale de l'ancienne Gaule fut, au temps de la Renaissance, la première place financière de l'Occident, une des villes manufacturières et marchandes les plus entreprenantes de l'Europe, le chef-lieu de la soie, de la toile et de l'imprimerie en France, elle est, à présent, par l'importance et la diversité de ses industries, textiles, chimiques, mécaniques, électriques, pétrolières, automobiles, etc., par l'étendue et la multiplicité de ses actions commerciales, par le travail et le rayonnement de son université, par tout ce qui s'y, recherche, s'y invente et s'y guérit, une métropole par excellence. A cet égard, la communauté urbaine, qui assemble avec elle plus d'un million d'habitants, marque la puissance de son agglomération. Mais, voici qu'un vaste ensemble, démographique, économique, scientifique et technique, comprenant Saint-Étienne et Grenoble et dont Lyon sera le principal élément, va donner à la grande cité rhodanienne un champ humain d'expansion... deux millions et demi d'âmes au départ... proportionné à ses capacités et pourquoi pas ?...à ses ambitions.

D'autant plus que toute la région Rhône-Alpes s'ordonne par rapport à ce centre. L'évolution générale porte, en effet, notre pays vers un équilibre nouveau. L'effort multiséculaire de centralisation, qui lui fut longtemps nécessaire pour réaliser et maintenir son unité malgré les divergences des provinces qui lui étaient successivement rattachées, ne s'impose plus désormais.

Au contraire, ce sont les activités régionales qui apparaissent comme les ressorts de sa puissance économique de demain. Or, dans l'hexagone fameux où l'histoire et la géographie ont placé l'essentiel de la substance française, la région du Rhône et des Alpes comporte, tout justement, d'exceptionnelles conditions de progrès.

Cela tient, d'abord, à tout ce qui, d'ores et déjà, s'y trouve à l'œuvre, quant aux usines, ateliers et métiers, quant aux sources d'énergie, quant aux activités de pointe, quant aux ressources agricoles, forestières et touristiques, quant aux idées et découvertes issues des facultés et des laboratoires. Cela tient, ensuite, à la belle et bonne Saône et au Rhône fort et bouillonnant dont le sillon forme, d'un bout à l'autre, un axe unique et direct. Cela tient, encore, au fait que cette grande communication, prolongée, d'une part, par le cours du Rhin dont aucun obstacle considérable du relief ne la sépare et débouchant, d'autre part, vers Marseille, est naturellement désignée comme la principale artère par laquelle l'Europe moderne va relier les mers du Nord à la Méditerranée. Cela tient, enfin, aux parcours plus commodes et plus rapides qui, à mesure que l'on parvient à traverser les massifs alpins, peuvent joindre entre eux les bassins du Rhône et du Pô.

Certes, pour aménager en conséquence les fleuves, les canaux, les routes, les tunnels, les centres de production du territoire, il faut un grand effort français. Mais cet effort est en cours. La construction de l'autoroute qui s'achève entre Dijon et la côte, l'électrification accomplie des chemins de fer, l'ouverture prévue, à Satolas, d'un aérodrome de première classe, les gigantesques travaux entrepris pour rendre le Rhône navigable en tout temps aux péniches de 1 300 tonnes...tout récemment, par exemple, l'écluse de Pierre-Bénite, le percement du Mont-Blanc terminé en 1965, le démontrent avec éclat. Cela fait, il va falloir relier directement la voie fluviale de la Saône et du Rhône à celles du Rhin et de la Moselle et, en même temps, forer l'Epine et le Fréjus. Sans doute, notre Vème Plan devra-t-il comporter les décisions nécessaires. Car, ce qui a été accompli ici le fut parce que les initiatives et les réalisations dues aux valeurs et aux capacités lyonnaises, et tout d'abord aux vôtres, Monsieur le Maire (Louis Pradel), ainsi que les avis et les projets fournis aux pouvoirs publics, à l'échelon régional, par la Commission de développement économique régional ou se déploie, Monsieur le Président (Antoine Pinay), votre éminente expérience, se sont heureusement conjugués avec les desseins que l'état poursuit au service du pays tout entier. Ce qui reste à faire doit être fait dans la même féconde harmonie.

Harmonie qui est féconde parce qu'elle est nationale. Tandis que notre unité profonde est, désormais, bien assurée, la transformation qui tend à mieux répartir toutes nos activités sur toutes les terres de notre peuple avive, du même coup, toutes les sources de notre existence. Mais aussi, chacune des régions qui sont bordées par notre frontière nous met tous, à mesure de son propre développement, en relation plus directe et plus étroite avec l'extérieur. C'est vrai pour le Nord par rapport aux pays belge, néerlandais, luxembourgeois, qui l'avoisinent ; pour la Lorraine et pour l'Alsace vis-à-vis de l'ensemble rhénan ; pour la Franche-Comté au contact de la Confédération helvétique ; pour la Provence et le Languedoc à l'égard du monde méditerranéen ; pour l'Aquitaine qui touche à la péninsule Ibérique ; pour la Bretagne plongeant dans l'Atlantique ; pour la Normandie à portée des îles Britanniques. Combien est-ce vrai aussi pour la région rhodanienne prolongeant le bassin du Rhin et limitrophe de l'Italie et de la Suisse !

Or, le fait est que notre pays, redevenu maître de lui même, n'en est que plus disposé à la coopération, notamment dans le domaine économique dont, désormais, tout dépend. Il le prouve en participant activement à la Communauté des Six, en envisageant volontiers, pourvu que celle-ci demeure intacte, des arrangements quant aux échanges spécifiques à l'Europe occidentale, en développant ses rapports avec l'Est de notre continent, en élargissant ceux qu'il pratique avec le monde tout entier, enfin en se tenant prêt à apporter sa contribution à l'établissement d'un système monétaire qui serait équitable, impartial, inébranlable, et par là justifierait la confiance universelle.

Voilà pourquoi et comment l'ouverture, en 1968, de la Cinquantième Foire internationale de Lyon est une marque insigne du renouveau de la France.

Vive Lyon !

Vive la République !

Vive la France !



Discours de Montréal

C'est une immense émotion qui remplit mon coeur en voyant devant moi la ville française de Montréal. Au nom du vieux pays, au nom de la France, je vous salue de tout mon coeur. Je vais vous confier un secret que vous ne répéterez pas. Ce soir ici, et tout le long de ma route, je me trouvais dans une atmosphère du même genre que celle de la Libération. Outre cela, j'ai constaté quel immense effort de progrès, de développement, et par conséquent d'affranchissement vous accomplissez ici et c'est à Montréal qu'il faut que je le dise, parce que, s'il y a au monde une ville exemplaire par ses réussites modernes, c'est la vôtre. Je dis c'est la vôtre et je me permets d'ajouter c'est la nôtre.

Si vous saviez quelle confiance la France, réveillée après d'immenses épreuves, porte vers vous, si vous saviez quelle affection elle recommence à ressentir pour les Français du Canada et si vous saviez à quel point elle se sent obligée à concourir à votre marche en avant, à votre progrès ! C'est pourquoi elle a conclu avec le gouvernement du Québec, avec celui de mon ami Johnson, des accords, pour que les Français de part et d'autre de l'Atlantique travaillent ensemble à une même oeuvre française. Et, d'ailleurs, le concours que la France va, tous les jours un peu plus, prêter ici, elle sait bien que vous le lui rendrez, parce que vous êtes en train de vous constituer des élites, des usines, des entreprises, des laboratoires, qui feront l'étonnement de tous et qui, un jour, j'en suis sûr, vous permettront d'aider la France.

Voilà ce que je suis venu vous dire ce soir en ajoutant que j'emporte de cette réunion inouïe de Montréal un souvenir inoubliable. La France entière sait, voit, entend, ce qui se passe ici et je puis vous dire qu'elle en vaudra mieux.

Vive Montréal ! Vive le Québec !

Vive le Québec libre !

Vive le Canada français ! et vive la France !